Vies des Saints
nos modèles et nos protecteurs

Bouquet spirituel:

«Quiconque M'aura confessé devant les hommes, Je le confesserai Moi aussi devant Mon Père qui est dans les Cieux.»

S. Matth. 10, 32

23 mars

Saint Toribio ou Turibe
Saint Toribio ou Turibe

Saint Toribio ou Turibe
Archevêque de Lima
(1538-1606)

Saint Toribio ou Turibe second fils du seigneur de Mongrebejo, en Espagne, naquit le 16 novembre 1538. Il fit connaître dès son enfance un goût décidé pour la vertu et une extrême horreur du péché. Ayant un jour rencontré une pauvre femme transportée de colère à l’occasion d’une po’to qu’elle venait de faire, il lui parla de la manière la plus touchante sur la faute qu’elle commettait, et lui donna, pour l’apaiser, la valeur de la chose qu’elle avait perdue. Il avait une tendre dévotion à la sainte Vierge; chaque jour il récitait son office avec le rosaire, et il jeûnait tous les samedis en son honneur. Pendant qu’il fréquentait les écoles publiques, il se retranchait une partie de son dîner, quoique très-frugal, pour en assister les pauvres. Il portait si loin les austérités de la mortification qu’on était obligé de modérer son zèle. Il commença ses hautes études à Valladolid, et alla les achever à Salamanque.

Le roi Philippe II, qui le connut de bonne heure, en faisait un cas particulier. Il récompensa son mérite par des places distinguées, et le fit président ou premier magistrat de Grenade. Le Saint remplit cette charge durant l’espace de cinq ans avec une intégrité, une prudence et une vertu qui lui acquirent une estime générale. C’est ainsi que Dieu préparait les voies à son élévation dans l’Église.

Le malheureux état où la religion était dans le Pérou exigeait un pasteur qui fût véritablement animé de l’esprit des Apôtres; et ce pasteur, la grâce l’avait formé dans la personne de Turibe. L’archevêché de Lima étant devenu vacant, il y fut nommé par le roi. Jamais peut-être on ne vit de choix plus universellement approuvé. On regardait Turibe comme le seul homme capable de remédier aux scandales qui empêchaient la conversion des infidèles. Le Saint fut consterné en apprenant la nouvelle de sa nomination il se jeta aux pieds de son crucifix, et là, fondant en larmes, il pria Dieu de ne pas permettre qu’on lui imposât un fardeau qui ne pouvait manquer de l’écraser. Il écrivit au conseil du roi des lettres où il représentait son incapacité avec les couleurs les plus fortes; il passait ensuite aux canons de l’Église, qui défendent expressément d’élever des laïques à l’épiscopat mais on n’eut point égard à sa lettre, et il fallut qu’il donnât son consentement. Son humilité toutefois ne resta pas sans récompense; elle fut pour lui la source de ces grâces abondantes dont l’effet se manifesta depuis dans l’exercice de son ministère.

Turibe voulut recevoir les quatre ordres mineurs en quatre dimanches différents, afin d’avoir le temps d’en faire les fonctions; il reçut ensuite les autres ordres, puis fut sacré évêque. Il s’embarqua sans délai pour le Pérou, et prit terre près de Lima en 1581. Il était alors dans la quarante-troisième année, de son âge. Le diocèse de Lima a cent trente lieues d’étendue le long des côtes, et comprend, outre plusieurs villes, une multitude innombrable de villages et de hameaux dispersés sur la double chaîne des Andes, qui sont comptées parmi les plus hautes montagnes du monde. Quelques chefs des Européens, qui les premiers firent la conquête de ce pays, s’étaient laissé conduire par les mouvements d’une ambition démesurée et d’une avarice insatiable ils s’étaient dépouillés de tout sentiment d’humanité et avaient traité les sauvages plutôt en tyrans qu’en vainqueurs. Le pays fut ensuite embrasé par le feu des guerres civiles et des dissensions domestiques. Ce n’était partout que cruautés et perfidies, que trahisons et désordres. En vain la cour d’Espagne voulut s’opposer au mal il avait jeté de si profondes racines qu’il paraissait incurable.

Le saint Archevêque fut attendri jusqu’aux larmes à la vue de tant de maux, et il résolut de tout entreprendre pour en arrêter le cours. Une prudence consommée, jointe à un zèle actif et vigoureux, lui aplanit toutes les difficultés. Peu à peu il vint à bout d’extirper les scandales publics et d’établir le règne de la piété sur les ruines du vice. Immédiatement après son arrivée, il entreprit la visite de son vaste diocèse. Il ne serait pas possible de donner une juste idée des fatigues et des dangers qu’il eut à essuyer. On le voyait gravir des montagnes escarpées, couvertes de glace ou de neige, afin d’aller porter des paroles de consolation et de vie dans les pauvres cabanes des Indiens. Souvent il voyageait à pied; et comme les travaux apostoliques ne fructifient qu’autant que Dieu les seconde, il priait et jeûnait sans cesse pour attirer la miséricorde divine sur les âmes confiées à ses soins. Il mettait partout des pasteurs savants et zélés, et procurait le secours de l’instruction et des sacrements à ceux qui habitaient les roches les plus inaccessibles. Persuadé que la fidélité à la discipline influe beaucoup sur les mœurs, il en fit un des objets importants de sa sollicitude. Il régla qu’à l’avenir on tiendrait tous les deux ans des synodes diocésains et des synodes provinciaux tous les sept ans. Il était inflexible par rapport aux scandales du clergé, surtout lorsqu’il s’agissait de l’avarice.

Dès que les droits de Dieu et du prochain étaient lésés, il en prenait la défense sans avoir égard à la qualité des personnes; il se montrait tout à la fois et le fléau des pécheurs publics et le protecteur des opprimés. La fermeté de son zèle lui suscita des persécutions de la part des gouverneurs du Pérou, gens qui, avant l’arrivée du vertueux vice-roi François de Tolède, ne rougissaient pas de tout sacrifier à leurs passions et à leurs intérêts particuliers. Il ne leur opposa que la douceur et la patience, sans toutefois rien relâcher de la sainteté des règles; et comme quelques mauvais chrétiens donnaient a la loi de Dieu une interprétation qui favorisait les penchants dérègles de la nature, il leur représenta, d’après Tertullien, que Jésus-Christ «s’appelait la vérité, et non pas la coutume», et qu’à son tribunal nos actions seraient pesées, non dans la fausse balance du monde, mais dans la balance du sanctuaire. Avec une telle conduite, le saint Archevêque ne pouvait manquer d’extirper les abus les plus invétérés aussi les vit-on disparaître presque tous. Les maximes de l’Évangile prirent le dessus; et on les pratiquait avec une ferveur digne des premiers siècles du christianisme.

Turibe, pour étendre et pour perpétuer l’œuvre de son zèle, fonda des séminaires, des églises, des hôpitaux, sans vouloir permettre que son nom fût inséré dans les actes de fondation. Lorsqu’il était à Lima, il visitait tous les jours les pauvres malades des hôpitaux; il les consolait avec une bonté paternelle et leur administrait lui-même les sacrements. La peste ayant attaqué une partie de son diocèse, il se priva de son nécessaire afin de pourvoir aux besoins des malheureux. Il recommanda la pénitence comme le seul moyen d’apaiser le ciel irrité; il assista aux processions, fondant en larmes; et les yeux fixés sur un crucifix, il s’offrit à Dieu pour la conservation de son troupeau. A ces actes de religion, il joignit des prières, des veilles et des jeûnes extraordinaires, qu’il continua tant que la peste fit sentir ses ravages.

Il affrontait les plus grands périls quand il était question de procurer à une âme le plus petit avantage spirituel. Il eût voulu donner sa vie pour son troupeau; et il était sans cesse dans la disposition de tout souffrir pour l’amour de celui qui a racheté les hommes par l’effusion de son sang. Lorsqu’il apprenait que de pauvres Indiens erraient sur les montagnes et dans les déserts, il entrait dans les sentiments du bon pasteur et allait chercher ces brebis égarées. L’espérance de les ramener au bercail le soutenait au milieu des fatigues et des dangers qu’il était obligé d’essuyer. On le voyait parcourir sans crainte d’affreuses solitudes habitées par des lions et des tigres. Il fit trois fois la visite de son diocèse. La première de ses visites dura sept ans, la seconde cinq, et la troisième un peu moins. La conversion d’une multitude innombrable d’infidèles en fut le fruit. Le Saint, étant en route, s’occupait ou à prier ou à s’entretenir de choses spirituelles. Son premier soin, en arrivant quelque part, était d’aller à l’église répandre son cœur aux pieds des autels.

L’instruction des pauvres le retenait quelquefois deux ou trois jours dans le môme endroit, quoiqu’il y manquât des choses les plus nécessaires à la vie. Les lieux les plus inaccessibles étaient honorés de sa présence. En vain lui représentait-on les dangers auxquels il exposait sa vie, il répondait que, Jésus-Christ étant descendu du ciel pour le salut des hommes, un pasteur devait être disposé à tout souffrir pour sa gloire. Il prêchait et catéchisait avec un zèle infatigable; et ce fut pour se mettre en état de mieux remplir cette importante fonction qu’il apprit dans un âge fort avancé les différentes langues que parlaient les sauvages du Pérou. Il disait tous les jours la messe avec une piété angélique, faisant une longue méditation avant et après cette grande action. Il se confessait ordinairement tous les matins pour se purifier plus parfaitement des moindres souillures. La gloire de Dieu était la fin de toutes ses paroles et de toutes ses actions, ce qui rendait sa prière continuelle. Néanmoins il avait encore des heures marquées pour prier; alors il se retirait en particulier et traitait avec Dieu de ses besoins ainsi que de ceux de son troupeau. Dans ces moments, un certain éclat extérieur brillait sur son visage.

Son humilité ne le cédait point à ses autres vertus de là ce soin extrême à cacher ses mortifications et ses autres bonnes œuvres. Sa charité pour les pauvres était immense; sa libéralité les embrassait tous indistinctement. Il s’intéressait cependant d’une manière particulière aux besoins des pauvres honteux.

Notre Saint eut la gloire de renouveler la face de l’Église du Pérou; et s’il n’en fut pas le premier apôtre, il fut au moins le restaurateur de la piété, qui y était presque généralement éteinte. Les décrets portés par les conciles provinciaux qui se tinrent sous lui seront à jamais des monuments authentiques de son zèle, de sa piété, de son savoir et de sa prudence. On les a regardés comme des oracles, non seulement dans le Nouveau-Monde, mais aussi dans l’Europe et à Rome même.

Turibe tomba malade à Santa, ville qui est à cent dix lieues de Lima il était alors occupé à faire la visite de son diocèse. Il prédit sa mort et promit une récompense à celui qui lui apprendrait le premier que les médecins désespéraient de sa vie. Il donna à ses domestiques tout ce qui servait à son usage; le reste de ses biens fut légué aux pauvres. Il voulut être porte à l’église pour y recevoir le saint Viatique; mais il fut obligé de recevoir l’Extrême-Onction dans son lit. Il répétait continuellement ces paroles de saint Paul: Je désire être affranchi des liens du corps, pour me réunir à Jésus-Christ. Dans ses derniers moments, il fit chanter par ceux qui étaient autour de son lit ces autres paroles: Je me suis réjoui à cause de ce qui m’a été dit Nous irons dans la maison du Seigneur. Il mourut le 23 mars 1606, en disant avec le Prophète: Seigneur, je remets mon âme entre Vos mains. L’année suivante, on transporta son corps à Lima, et il fut trouvé sans aucune marque de corruption. L’auteur de sa vie et les actes de sa canonisation rapportent que de son vivant il ressuscita un mort et guérit plusieurs maladies. Après sa mort, il s’opéra plusieurs miracles par la vertu de son intercession. Turibe fut béatifié en 1679 par Innocent XI, et canonisé en 1726 par Benoît XIII.

On représente saint Toribio, qu’on appelle encore saint Thorive, faisant l’aumône aux pauvres. Dès sa jeunesse en Espagne, il avait reçu le nom de père des pauvres; mais devenu archevêque, il ne mit plus de bornes à ses aumônes; il appelait volontiers les pauvres ses créanciers. On l’honore particulièrement dans le Pérou.

Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes: Vies des Saints, Paris, Bloud et Barral, 1882), Vol. 3

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