Bouquet spirituel:
9 novembre
Le père de Mathurin se nommait Marin, et sa mère Euphémie; c’étaient des personnes nobles qui demeuraient dans le Gâtinais, au diocèse de Sens, dans une terre appelée Liricant et maintenant Larchant (Seine-et-Marne, arrondissement de Fontainebleau, canton de La Chapelle-la-Reine), au diocèse de Meaux.
Marin était un idolâtre si zélé, qu’il ne fit point difficulté de recevoir des empereurs la charge de poursuivre et d’exterminer les chrétiens. Il eut ce fils pour le bonheur de sa famille et pour la gloire de son pays; il ne manqua pas de lui inspirer de bonne heure les principes sacrilèges de sa religion. Mais Dieu préserva Mathurin de cette impiété. Son histoire porte qu’un saint évêque de Sens, nommé Polycarpe, ayant trouvé son cœur disposé à recevoir la semence de l’Évangile, lui en donna la première intelligence et l’instruisit si parfaitement de tout ce qu’il devait savoir des mystères de notre foi, qu’il le mit, à douze ans, en état de recevoir le baptême.
La grâce du baptême fit en même temps de si grands effets dans l’âme de Mathurin, qu’il parut tout embrasé de l’amour de Jésus-Christ. Il passait les jours et les nuits en jeûnes, en veilles et en prières, et il frappait continuellement à la porte de la divine miséricorde pour en obtenir la conversion de ses parents. Son oraison fut bientôt exaucée. Euphémie, étonnée de la vertu de son fils, n’eut pas de peine à accepter la doctrine du salut qu’il lui proposa; et Marin, qui eut un songe mystérieux, dans lequel il vit son fils qui conduisait beaucoup de peuple, comme un pasteur conduit des troupeaux, reconnut l’abondance des faveurs célestes dont il était prévenu, et consentit à avoir part à la grâce du baptême qu’il avait reçue. Polycarpe vint à leur maison, et ayant achevé de les instruire, il leur conféra, à l’un et à l’autre, le sacrement de la régénération spirituelle. Ainsi Mathurin fut spirituellement le père de ceux qui lui avaient donné la vie et Marin, de persécuteur des chrétiens, en devint l’asile, le soutien et le protecteur.
Cependant notre saint jeune homme, croissant toujours de vertu en vertu, fut jugé digne par son évêque d’entrer dans les ordres sacrés. Aussi, à l’âge de vingt ans, il fut promu au sacerdoce et il commença d’offrir sur l’autel le sacrifice non sanglant de la chair de Jésus-Christ. Il reçut en même temps le don des miracles et un si grand pouvoir sur les démons, qu’il n’y avait point d’énergumènes qu’il ne délivrât facilement. D’ailleurs, Dieu lui donna une facilité merveilleuse d’expliquer les vérités de notre religion et de les persuader à ses auditeurs, ce qui fit que Polycarpe lui ordonna de prêcher l’Évangile et d’annoncer aux peuples le grand mystère d’un Dieu crucifié. On ajoute que, dans un voyage que ce prélat fit en Italie, d’où il ne revint point, il lui laissa la charge de tout son diocèse, et que Mathurin s’en acquitta avec un zèle et une piété admirables.
Après plusieurs années on l’appela à Rome pour y délivrer la fille d’un prince, laquelle était violemment tourmentée par un démon. Il y alla, et son voyage eut tout le succès que l’on prétendait. Il y délivra encore plusieurs autres possédés et, dans les trois ans qu’il y demeura, il acquit, par ses prédications et par ses miracles, un grand nombre de serviteurs à Jésus-Christ. Enfin, l’heure de sa récompense étant venue, il mourut en paix, avec le seul regret de n’avoir pas versé son sang pour la foi dans le feu des persécutions. Sa mort arriva à Rome le 1er novembre, mais on ne célèbre sa fête à Paris que le 9.
Dans les images de saint Mathurin, on voit souvent près de lui des chaînes ou des menottes suspendues en manière d’ex-voto, parce qu’on l’invoquait pour la délivrance des démoniaques, fous furieux, etc. Par allusion à son voyage à Rome dont nous avons parlé, on le représente habituellement bénissant une femme tandis que le démon s’échappa par la bouche ou par le crâne de la patiente. Dans plusieurs images populaires les pots et les plats d’étain accompagnent souvent saint Mathurin et saint Fiacre, qui étaient à Paris les patrons des fabricants potiers. On invoque saint Mathurin pour la guérison de la folie, de l’épilepsie, de la possession, et des personnes qui sont affligées de frayeurs et de terreurs paniques.
Mathurin avait témoigné dans sa maladie qu’il souhaitait que son corps fût transféré à Larchant, en France. Quelques personnes pieuses, qui avaient reçu des grâces particulières par son intercession, entreprirent de l’y transporter. On dit que ce dépôt sacré reposa quelque temps à Paris, dans une maison qui était autrefois hors de la ville, et qu’il s’y fit tant de miracles, que l’on y bâtit une chapelle en son honneur; elle a depuis été donnée aux religieux de la très-sainte Trinité de la Rédemption des Captifs; d’où le nom de Mathurins leur est demeuré par toute la France.
Ces saintes reliques furent ensuite portées à Sens et de là à Larchant; les miracles continuant toujours, on y bâtit une église si magnifique, qu’elle ne cédait pas aux plus beaux édifices de son temps. Les Calvinistes l’ont ruinée dans leur rébellion contre l’Église et contre l’État; il n’en reste plus que des débris, objet de l’admiration universelle. La Révolution détruisit le culte de saint Mathurin comme les Calvinistes avaient détruit son église. Ses reliques furent jetées au vent.
Du onzième au quinzième siècle, Larchant fut une étape importante sur le chemin du pèlerinage jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Autrefois, les fidèles de toutes les paroisses, de dix lieues à la ronde, venaient en procession au sanctuaire du Saint. Encore aujourd’hui, on célèbre le Saint Mathurin lors du pèlerinage organisé chaque année durant la Pentecôte.
Les Petits Bollandistes, Vies des Saints, Tome 13, Paris, Bloud et Barral, 1876