Bouquet spirituel:
3 mai
Un saint Pape martyr vient en ce jour déposer sa couronne au pied de la Croix triomphante, par laquelle il a vaincu. C'est Alexandre, le cinquième successeur de Pierre. Honorons ce témoin vénérable de notre foi, appelé à recevoir aujourd'hui les hommages de l’Église militante, au sein de la gloire dont il jouit depuis tant de siècles dans la compagnie de notre divin Ressuscité. La Passion de ce Maître souverain fut toujours présente ici-bas à sa pensée, et l’Église a conservé le souvenir de l'addition qu'il fit de quatre mots au Canon sacré, pour exprimer que Jésus avait institué l'auguste mystère de l'Eucharistie la veille même du jour où Il devait souffrir Sa Passion.
Une autre institution chère à la piété catholique est due au même Pontife. C'est par lui que l’Église a été mise en possession de cette eau sainte que les démons redoutent, et qui sanctifie tous les objets qu'elle touche. Le fidèle renouvellera donc aujourd'hui sa foi envers ce puissant élément de bénédiction que l'hérésie et l'impiété ont si souvent blasphémé, et dont l'usage pieux sert à discerner les enfants de l’Église de ceux qui ne le sont pas. L'eau, instrument de notre régénération, le sel, symbole d'immortalité, s'unissent sous la bénédiction de l’Église pour former ce Sacramental envers lequel notre confiance ne saurait être trop grande.
La vertu des Sacramentaux, comme celle des Sacrements, procède du sang de la Rédemption, dont les mérites sont appliqués à certains objets physiques par l'action du sacerdoce de la loi nouvelle. L'indifférence à l'endroit de ces moyens secondaires du salut serait aussi coupable qu'imprudente; et cependant, à cette époque d'affaiblissement de la foi, rien n'est plus commun que cette indifférence. Il est des catholiques pour qui l'eau bénite est comme si elle n'existait pas ; ils ne réfléchissent jamais sur l'usage continuel qu'en fait l’Église, et se privent, de gaieté de cœur, du secours que Dieu a daigné mettre à leur portée pour fortifier leur faiblesse et purifier leurs âmes. Daigne le saint pontife Alexandre ranimer leur foi, et rendre à ces chrétiens dégénérés l'estime des choses surnaturelles que la bonté de Dieu avait prodiguées à leur intention!
Alexandre, natif de Rome, gouverna l’Église sous l'empire d'Adrien, et convertit au Christ une grande partie de la noblesse romaine. Il ordonna que l'on offrirait seulement le pain et le vin dans le Sacrifice, et que l'on mêlerait de l'eau avec le vin, en mémoire du sang et de l'eau qui coulèrent du côté de Jésus-Christ. Il ajouta au Canon de la Messe ces paroles: Qui pridie quam pateretur. Il ordonna encore que l'on aurait toujours à l’église de l'eau bénite, dans laquelle on aurait jeté du sel, et que l'on s'en servirait pour chasser les démons qui infesteraient les maisons. Il siégea dix ans, cinq mois et vingt jours, et fut illustre par sa vie sainte et ses ordonnances salutaires.
Il fut couronné du martyre avec les prêtres Éventius et Théodule, et on l'ensevelit sur la voie Nomentane, à trois milles de Rome, au lieu même où il avait eu la tête tranchée. Il créa en divers temps, au mois de décembre, six prêtres, deux diacres et cinq évêques pour divers lieux. Les corps de ces saints furent depuis transportés à Rome dans l’église de Sainte-Sabine. En ce même jour arriva la mort du bienheureux Juvénal, évêque de Narni, qui après avoir, par sa sainteté et sa doctrine, enfanté beaucoup de fidèles à Jésus-Christ dans cette ville, illustré par l'éclat des miracles, mourut paisiblement, et fut enseveli avec honneur au même lieu.
Prière
Recevez, ô saint Pontife, en ce jour consacré au culte de la Croix de votre divin Chef, les hommages du peuple chrétien. C'est par la voie de la Croix que vous êtes monté au Ciel en ce jour; il est juste que votre louange se mêle à celles que nous offrons à l'instrument sacré de notre délivrance. Rendez-nous propice Celui qui a donné Son sang sur cet arbre de vie; qu'Il daigne accepter nos chants de triomphe pour Sa résurrection, nos hymnes en l’honneur du bois libérateur.
Faites croître en nous la foi, ô saint Pontife, afin que nous arrivions à comprendre l'économie de la Rédemption, dans laquelle le Fils de Dieu a voulu Se servir pour notre salut des éléments mêmes que l'ennemi avait souillés et dirigés à notre perte. Chassez loin de nous ce mesquin rationalisme qui ose choisir dans l’Église ce qui convient à sa médiocre compréhension, et croit pouvoir dédaigner le reste.
Intercédez pour la sainte Église, ô saint Pontife! Elle vous invoque aujourd'hui; montrez-lui qu'elle est restée chère à votre cœur.
Dom Prosper Guéranger, Abbé de Solesmes, L’Année liturgique, Pentecôte IV, Paris, Librairie Religieuse H. Oudin, 1901