Bouquet spirituel:
20 Mars
Théophane Vénard naquit le 21 novembre 1829, à saint-Loup-sur-Thouet, au diocèse de Poitiers. Son père, qui était instituteur et sa mère Marie Guéret élevèrent leurs enfants dans des sentiments très chrétiens: Mélanie, l'aînée, mourut religieuse de l'Immaculée-Conception, et leur plus jeune frère, Eusèbe, fut curé d'Assais.
Théophane, encore enfant, aimait à lire les « Annales de la Propagation de la Foi», soit seul, soit en compagnie de sa sœur Mélanie. Un jour, la revue racontait les souffrances et la mort du Père Cornay, qui venait de souffrir le martyre au Tonkin. Saisi d'une émotion indicible, et d'un véritable enthousiasme apostolique, il s'écria: « Moi aussi, je veux aller au Tonkin ! Et moi aussi, je veux être martyr !» Il avait alors dix ans. Quelques jours après, il se trouve avec son père dans une prairie. « Mon père, fit-il soudain, combien vaut ce pré? Je ne sais pas au juste; mais pourquoi cette question? Ah! si vous pouviez me le donner, ce serait ma part; je le vendrais et ferais mes études.» Le père comprit et favorisa une vocation si déterminée : Théophane fit ses études au petit séminaire de Montmorillon et au grand séminaire de Poitiers. Après son ordination au sous-diaconat (février 1850), il disait adieu à sa famille et entrait au séminaire des Missions-Étrangères, à Paris.
L'abbé Vénard reçut l'onction sacerdotale le 5 juin 1852, bien qu'il n'eût que vingt-deux ans et demi, et le 23 septembre, il s'embarquait à Anvers pour la Chine. Arrivé à Hongkong, il y attendit dix mois sa destination. En définitive, il fut désigné pour le royaume d'Annam: le 13 juin 1854, il arrivait à Vinh-Tri, auprès de son évêque, Mgr Retord.
Les débuts de M. Vénard furent assez laborieux: il paya son acclimatation par une grave maladie. A peine remis, il est obligé de changer constamment de demeure, afin d'échapper aux édits de persécution de l'empereur Tu-Duc. Traqués comme des bêtes sauvages, les missionnaires de l'Annam sont contraints de fuir, de descendre dans des cachettes souterraines, pendant qu'au-dessus de leurs têtes les troupes des mandarins pillent et détruisent leur chrétientés. M. Vénard cherche un refuge à Hoang-Nghuen, auprès de M. Castex, provicaire de la Mission, qui meurt entre ses bras (6 juin 1857), Il est chargé du district qu'administrait le défunt.
Tu-duc lance contre les chrétiens de nouveaux édits plus sévères encore que les précédents : les mandarins des provinces s'empressent de les exécuter. Grâce à un lettré apostat qui renseigne les mandarins sur les cachettes des missionnaires, de nombreuses arrestations ont lieu dans la mission d'Annam. Le Père Néron, livré par un traître, venait de terminer sa carrière par le martyre, le 3 novembre 1860. Le 30 du même mois, le Père Vénard, dénoncé par un païen, était arrêté avec son catéchiste et conduit à la sous-préfecture. Le mandarin le traita avec de grands égards et parut même regretter son arrestation.
En fin décembre, il fut transporté à Hanoï. Sur son passage, la foule chuchotait: « Qu'il est joli, cet Européen !» Au tribunal le juge lui demande:
Qu'êtes-vous venu faire à Annam? Je suis venu uniquement pour prêcher la vraie religion à ceux qui ne la connaissent pas. Quel âge avez-vous? Trente-et-un ans. Il est encore bien jeune...
Un instant après le vice-roi fait apporter deux crucifix; il en fait remettre un au Père Vénard en lui disant:
Foulez la croix et vous ne serez pas mis à mort.
Quoi! J'ai prêché la religion de la Croix jusqu'à ce jour: comment voulez-vous que je l'abjure? Je n'estime pas tant la vie de ce monde que je veuille la conserver au prix d'une apostasie.» Ce disant le missionnaire baisa longuement l'image du Christ.
Si la mort a tant de charme a vos yeux, pourquoi vous cachiez-vous de crainte d'être pris?
La religion défend de présumer de ses propres forces, et de se livrer soi-même. Mais le ciel ayant décidé que je sois arrêté, j'ai confiance qu'il me donnera assez de force pour souffrir tous les supplices et être ferme jusqu'à la mort.»
Il fut condamné à mort. En attendant la sanction impériale, M. Vénard installé dans sa cage sur la rue, causait gaiement avec les gardiens et les curieux et souvent chantait des cantiques. L'ordre d'exécuter la sentence de mort arriva dans la nuit du 1er au 2 février 1861. Dès sept heures du matin, on lui lut le jugement qui le condamnait à mort, et à neuf heures, il était décapité.
J.-M. Planchet, Nouvelle Vie des Saints, 2e éd. Paris, 1946